Prémonition ou évidence ?

Au travers des siècles, l’être humain semble n’avoir pas compris de ses expériences et donne la sensation de recommencer sans cesse les même erreurs. À tel point que sa lecture apparaît comme limpide aux yeux de certains auteurs devenus célèbres tant leur clairvoyance nous transperce.

Parmi tous figure Günther ANDERS.

Il fait partie de ces personnages publiques à l’écoute de notre société et observateurs des mécanismes de son fonctionnement. Né en Pologne en 1902 et mort en Autriche en 1992, ce philosophe, journaliste et essayiste allemand est surtout connu pour avoir critiqué ouvertement la technologie. Il a également été un pionnier du mouvement antinucléaire. Parmi tous les sujets qu’il a abordé dans plusieurs de ses écrits figure notamment l’impact des médias de masse sur notre rapport au monde.

L’une des ses œuvres qui fait encore écho aujourd’hui, plus de 65 ans après sa sortie, s’appelle « L’obsolescence de l’homme« . Un ouvrage longtemps critiqué voire même moqué tant les thèses avancées par l’auteur ont pu sembler exagérées. Un livre qui malgré le temps résonne encore plus fort en ces temps troubles et sombres.

Parmi les extraits connus figure celui de la page 122Günther ANDERS parle des méthodes sourdes et insidieuses dont un pouvoir pourrait user partout dans le monde pour mettre en place un état totalitaire et maîtriser un peuple totalement grogui et inconsciemment asservi. Une vision passionnante et effrayante à la fois qui prouve que l’Histoire semble se répéter inlassablement et ce malgré la volonté infatigable de certains à montrer du doigt l’évidence.

Mais le mieux est de prendre connaissance de ces quelques lignes qui semblent avoir été écrites récemment et qui sonnent incroyablement justes. Rappelons que cet extrait date de 1956 !!!

Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées …

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation , pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres , moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste … que le fossé se creuse entre le peuple et la science , que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif .

On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique . Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains . Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence , de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée , d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur (qu’il faudra entretenir) sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau . Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu …

Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir.